lundi 7 avril 2008

Premiers souvenirs...

Mes premières émotions infirmières prennent naissance en maison de retraite. En étant à mon premier stage, les actes compliqués ne furent pas pour moi, et ce fut très bien comme ça. Même si, rétrospectivement, je pense qu'il n'y avait pas d'actes très complexes, tout me paraissait compliqué. Et puis l'infirmière avec qui je suis resté le plus me cantonnait bien dans mon rôle d'élève ou de "bébé canard avec son bébé chariot qui suis la maman canard avec le gros chariot" (ça l'a fait beaucoup rire, ça). Je la suivais finalement pas beaucoup, puisque je passais la plupart de mon temps à travailler avec les aides soignantes, pour les toilettes et les changes.
Je n'avais jamais fais de toilettes à quelqu'un d'autre que moi, si ce n'est ma petite sœur et petit frère. Un adulte, non. Et là, c'était un beaucoup plus adulte que moi. Mais je n'appréhendais pas du tout. J'étais plus ennuyé par le matériel (bon, alors, la serviette, les vêtements, ok... ah mince, les chaussettes...) que par la découverte de la nudité vieillissante de l'Autre. Finalement, on a plus à faire avec la vision que l'Autre à de lui par rapport à nous. Lorsque j'ai à faire une toilette à une femme, je demande tout le temps si la personne désire que ce soit une infirmière, AS, plutôt que moi (un homme, au cas où ça n'aurait pas été clair). J'ai eu très souvent une même réponse : "Ho, vous savez, à mon âge, ça n'a plus d'importance", dit sur un ton qui voulait dire "personne ne me porte d'attention", "on ne me regarde pas", etc.
Mais non, c'est faux, tant qu'on est vivant, on est pensant et ressentant !
J'ai découvert que, malgré toutes l'attention que l'on peut leur apporter en maison de retraite (et celle où j'étais était dans ce cas), le fait de se retrouver dans un tel établissement, pour certains qui se sont retrouvés là, propulsés par leur famille, qui n'avait plus le temps, la possibilité, la patience, le courage, l'envie de s'occuper d'eux, et vécu comme un rejet, une salissure. C'est tout à fait compréhensible et normal de se sentir rejeté.
Il y avait une dame, dans les 80 ans, brune, assez fine, à qui la toilette au lit (impossible autrement) était très difficile à faire : elle était raide comme un bout de bois. Ne parlait pas, les yeux toujours au 3/4 fermés, ouvrant très faiblement la bouche lorsque je l'aidais à manger. C'était assez impressionnant et déstabilisant, n'ayant aucun retour sur ce que je faisais, si c'était bien ou pas, si c'était ce qu'elle voulait ou pas...
un jour, alors que je sortais de sa chambre, je croise le Kiné qui allait entrer. J'en profite pour lui poser des questions sur son état, ce qu'elle a, depuis quand, etc.
il me dit qu'il connaissait très bien cette dame, Mme G, qu'il la connaissait bien avant qu'elle n'entre dans cette maison de retraite. C'était on peut dire une amie, pas une patiente. C'est une dame extrêmement cultivée, drôle, intelligente, C'était une professeur d'histoire de l'art. Elle a fait de nombreux voyages, ouverte sur les autres...
[Il fait une pause, prend une légère inspiration, visiblement affecté, puis il continue]
Elle était donc mariée, deux enfant, retraitée. Un jour, son mari meurt. Les enfants lui ont dit qu'ils ne voulaient pas la voir seule, et seraient "plus rassurés" (j'ai senti les guillemets dans son intonation) de la savoir entourée, avec des gens qui s'occuperaient d'elle. Elle n'a pas voulu discuter avec eux de cette question.
Elle lui a dit que si ses enfants faisaient ça, la "mettait dans une maison", elle arrêterait de vivre.
Ils l'ont placée, elle a tenu parole. Du jour où elle est entrée elle a arrêté de vivre, à sa façon. Il y a deux ans.
- Et quand les enfants viennent, comment ça se passe?
- Ils ne sont jamais venus

j'ai essayé d'être ce que j'ai pu, faire ce que je pouvais avec ce que j'avais, le peu d'expérience de la vie mais avec une énorme envie (ou besoin?) de communiquer. Tous ces résidents n'étaient pas rejetés par leur famille, certains étaient là parce qu'ils l'ont décidé (des veuves, surtout), mais à chaque fois que je rentrais chez moi, je les amenais avec moi. La séparation a été très difficile. Et ce qui m'a beaucoup touché, c'est de voir qu'il en était de même de leur coté.

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